Coralie Escrich - Doula Accompagnement autour de la naissance et de la féminité

Naissance de Maël

Le 21/05/2024 0

Dans Récits de naissances

Vendredi soir. Comme à notre habitude, nous regardons un film avant de nous coucher. Ce soir ce sera « une folle envie ». L’histoire d’un couple qui souhaite avoir un enfant mais qui rencontre des difficultés avant d’y parvenir. En fin de grossesse la future maman suggère à son conjoint de provoquer les choses « à l’italienne ». Et ça marche. Et bien sur, comme dans tous les films, la scène de l’accouchement dure 3 minutes: allongée sur le dos, les pieds dans les étriers, avec une belle épisio, et en broyant la main de son mec et en criant. On en rit et on discute de mon accouchement prévu dans 15 jours. On blague sur la formule « à l’italienne ». On décide de faire un gros câlin avant de dormir pour tester son efficacité. Comme à chaque fois, j’ai des contractions non douloureuses mais puissantes. Sur ce, on s’endort. 

Une contraction plus forte que les autres me réveille. J’en profite pour aller aux WC et je regarde l’heure: 3 heures du matin. Je me recouche. Quelques temps après, une autre toujours aussi puissante. Ha ha !? Serais-ce le travail qui commence? J’attends encore pour voir mais je dois respirer profondément à chaque nouvelle contraction. H. se réveille aussi en m’entendant respirer. Il me demande si ça va et je le rassure. Il se rendort d’un œil. J’arrive à me rendormir un peu mais je suis à nouveau réveillée par une contraction. Je décide d’aller sous la douche. Humm, c’est bon ! Je règle le jet d’eau bien fort et chaud juste sur le bas de mon dos. Je tente de prendre un bain mais c’est trop inconfortable de rester immobile dans l’eau. Je remets mon jet d’eau chaude en action. Y a pas à dire, c’est merveilleux. Et puis le bruit de l’eau qui coule m’apaise. J’adore !

A chaque contraction (je n’ai pas l’impression qu’il y en ait beaucoup) j’expire en faisant des "Haaaaaaa" graves, mais pas trop fort parce que c’est la nuit et que je ne veux pas que les voisins m’entendent (déjà que je prends une douche depuis plusieurs heures!). H. doit m’entendre vocaliser parce qu’au bout d’un moment il vient me voir. Il me demande si tout va bien et je lui réponds que oui, j’ai des contractions et que bébé sera peut être là ce soir. Je souris à cette idée. J’en profite pour lui demander de m’apporter le ballon de gym prêté par S. ma Doula. Il le dépose dans la baignoire. Jusque là j’étais debout, bras tendus, face au mur, et je faisais des mouvements en 8 avec le bassin. Maintenant je peux continuer à me balancer à genoux, tête et bras croisés sur le ballon. Il faut juste régler à nouveau le jet sur le bas de mon dos. Humm ! Je poursuis mes mouvements de bassin de gauche à droite. Le temps n’existe plus. Je suis dans ma bulle. Je ferme les yeux. Entre deux contractions, j’ouvre les yeux et j’aperçois le ruban rose noué à mon poignet. Je repense à la journée de mon Blessingway, aux femmes présentes ce jour-là, femmes bienveillantes et douces. Elles sont avec moi, je sens leur force m’envelopper. Je me sens bien, forte, confiante, Femme. 

J’enjambe de temps en temps la baignoire pour m’assoir sur les WC. Le travail semble avoir des effets laxatifs. Et puis j’ai comme une petite faim. Je vais jusqu’à la cuisine. Je croque dans un biscuit et bois une gorgée d’eau mais j’ai un haut le cœur. Ok, j’oublie l’idée de manger ou boire pendant le travail, je déteste vomir ! Je tente de retourner me coucher auprès d’H. Mais à la première contraction, je dois me retenir pour ne pas crier. H. se réveille et me masse le bas du dos. Je vocalise super fort pour le coup. Il me plaint et je crois que je lui fais peur. J’attends la suivante pour voir. Pareil. Trop inconfortable pour moi de rester allongée sur le côté. Je décide de retourner sous mon jet d’eau chaude bienfaiteur. Le temps passe. Je suis dans ma bulle, je suis bien, malgré les contractions qui me semblent très espacées et tout à fait supportables, je pense à mon bébé. Peut être qu’il sera là ce soir…

Je dois sortir de la baignoire de plus en plus souvent pour aller aux WC. Je décide d’y faire un setting pour économiser mon énergie. Et puis j’ai sommeil moi ! Je somnole. Je me suis assise à l’envers pour pouvoir poser ma tête et mes bras sur la chasse d’eau. Ce n’est pas super confortable mais c’est mieux que rien. J’ai dû rester longtemps comme ça parce que quand je me « réveille », l’horloge de la cuisine derrière moi affiche 10h. Ouah, déjà !? Je décide de retourner sous la douche chaude. Mais à peine sous l’eau je dois retourner sur les WC. Encore ? Mais ça fait 12 heures que j’ai rien avalé! Pourtant je « pousse ».

Je ressens une envie puissante de pousser. A ce moment précis, H. se lève (sixième sens?) et surgit dans la salle de bain. J’ai juste le temps de saisir la porte d’une main et le bras d’H. de l’autre. Je n’ai pas encore compris ce qui se passe. Je crois que je lâche même un « dégage » à son attention, car il essaie de me masser le bas du dos et je n’ai pas envie qu’on me touche. En réalité je pense « non, ne me touche pas » mais c’est « dégage » plus rapide et clair qui me vient ^^. Je pousse mais je ne pense pas à mon bébé. Je me dis que si ça continue, mes hémorroïdes vont éclater sous la pression. Et puis j’ai un flash, j’ai compris. Je lâche H. pour toucher ce qui se passe là en bas. Je pose ma main entre mes jambes et je sens la tête de mon bébé ouvrir le passage tout doucement. Je n’ose pas y croire! Déjà ? Mais ce n’est pas possible !!! La sensation de poussée recommence, alors je laisse faire, je m’ouvre et me détends. Je n’ai pas peur, je suis confiante. Je suis une femme et je SAIS accoucher, comme toutes ces femmes avant moi et toutes celles qui viendront.

J’ordonne à H. de téléphoner à la sage femme. Il me regarde un peu étonné, il ne comprend pas, aussi surpris que moi sans doute. Je sens la tête du bébé glisser doucement hors de moi, ses yeux, son nez, sa bouche, son menton. Incroyable. Je caresse sa petite tête, elle est « gluante ». Je ne sais pas pourquoi mais j’ai l’idée de vérifier si son cordon n’est pas autour de son cou. Ce n’est pas le cas. Il y a une odeur douce-amer de sang dans l’air. Puis je renouvelle ma demande de prévenir la sage femme en paniquant un peu puisque H. ne réagit pas.  Je me lève. Je pense aussi « houlala, je vais mettre du sang partout sur le tapis de bain » (N’importe quoi, comme si c’était le souci du moment). A peine levée, je fais un pas et le reste de bébé glisse d’un coup. Heureusement j’avais laissé ma main sur sa nuque et je fini de l’attraper. H. assiste à la scène tout aussi stupéfait que moi par la rapidité de cette naissance. Puis il va (enfin) téléphoner à la sage femme.

Tout semble irréel. Je m'assoie sur les WC. Bébé a déjà les yeux ouvert, il a dû boire un peu la tasse parce qu’il crachouille avant de crier. Il ne crie pas longtemps d’ailleurs. Je suis dans la pénombre car seule la lumière du jour filtre à travers les rideaux épais du salon. Mais je peux distinguer les yeux de mon bébé grands ouverts qui me fixe intensément. Instant magique. Je le sers tout contre moi. Il est un peu gluant et glissant et j’ai peur qu’il ne m’échappe. Je dis à H. : « ça y est, on est parents. » avec des sanglots dans la voix car je suis émue et un peu sous le choc. H. ne m’entend pas parce qu’il est au téléphone avec T., la sage femme. Elle semble paniquer et veut me parler. Alors il me pose le téléphone sur l’épaule que je le cale avec l’oreille pour lui parler. Oui le bébé est là, oui il va bien et moi aussi. Tout a été très rapide. Non le placenta est toujours à l’intérieur (en même temps je viens juste d’accoucher!)  Elle me dit qu’elle sera là dans 20 minutes et veut que je téléphone au 911 (SAMU) parce qu’elle a peur que je fasse une hémorragie. (Tout ça en anglais bien sur, Ontario oblige). Mais je ne veux pas, je sais que tout va bien et aussi que si je téléphone, le 911 va m’embarquer pour l’hôpital. Pas question. En plus j’en ai marre de parler dans ce téléphone. Je veux qu’on me laisse profiter de la rencontre avec mon bébé. Je conclue sèchement la discussion en disant que 20 minutes ce n’est pas long et qu’on l’attend. H. récupère le portable et téléphone à S. ma Doula. Elle ne veut pas croire que le bébé est né. Il faut que je lui parle et qu’elle l’entende pleurer pour finir par nous croire et venir. Le plus drôle c’est que justement elle devait venir manger chez nous ce midi. Finalement elle va se retrouver à préparer le repas pour nous. ^^

J’ai un peu froid et je tremble comme une feuille. En état de choc je suppose. Je demande à H. de protéger le lit (il y étend un rideau de douche) et de sortir une grosse couverture pour me couvrir. Je vais m’allonger avec bébé, toujours relié à moi par le cordon. Je suis en amour complet avec mon bébé. Je suis submergée par les émotions. Je pleure et je ris toute tremblante. 

S. ma Doula arrive la première. Incroyable. Elle reste interdite. H. et moi lui expliquons rapidement ce qui s’est passé. Je me surprends même à m’excuser d’avoir accoucher trop vite et qu’elle n’ait pas pu assister à la naissance. Elle contemple le bébé qui est au chaud, tout contre moi, sous la couverture. Il a un peu de sang sur la tête mais ne pleure pas. Il crachouille un peu. Il est parfait. T. la sage femme arrive peu de temps après. Elle a un sac énorme comme celui des pompiers en intervention. Elle a l’air un peu affolée mais dès qu’elle me voit, allongée sous la couverture avec bébé en peau à peau, le sourire aux lèvres, elle se rassure. On a l’air d’aller bien. Elle écoute le cœur de bébé et prend ma tension. Tout va bien. Elle sourit. Ouf !

Comme convenu dans mon projet de naissance, elle a vérifié que le cordon ait fini de battre avant de proposer à H. de le couper. Il accepte. Apparemment c’est difficile, mais il y arrive. Maintenant elle s’inquiète pour le placenta qui n’est pas encore sortit. Elle me propose de m’injecter une dose d’ocytocine pour aider à la sortie du placenta. Bon, je ne voulais pas d’interventions « inutiles », mais je suis lasse, je ne veux pas qu’on me dérange dans la contemplation de mon bébé, alors je dis oui. Elle me prévient qu’elle va appuyer sur mon ventre pour aider un peu. Et ben OK, vas-y. Mais, ça fait un mal de chien !!! Je râle, je veux qu’on me laisse tranquille maintenant. Après une poussée le placenta sort. C’était donc pas la peine de m’injecter ce truc… Apparemment j’ai un hématome sur la paroi du vagin, mais ça ne me fait pas mal. Elle me propose de l’aspirer avec une seringue au lieu d’aller le faire à l’hôpital. Evidemment j’accepte, je ne veux pas aller à l’hôpital. Finalement, il semble déjà vidé de son sang. Elle vérifie qu’il n’y ait pas de déchirures mais non, RAS. Tout va bien. On nous laisse tout les 3. Instants magiques de la rencontre avec notre bébé. Le temps est suspendu, arrêté. Il est parfait bien sur puisque c’est notre bébé ! J’ai quand même compté ses doigts et ses orteils pour être sûre…

Après un (long ?) moment, T. revient pour peser et mesurer bébé. Les paris sont ouverts. Combien il pèse? D’après moi 3 kgs. La sage femme trouvera le poids exact (bon, c’est son métier), soit 3kg 250. Il mesure 52 cm. Tous ses réflexes sont bons et il semble bien formé. Il a une belle tête bien ronde et aussi pleins de cheveux noirs (comme je voulais), de grands yeux ouverts et un petit nez de bébé, une bouche en cœur et de belles oreilles bien collées. Bref, il est parfait. J’explique à la sage femme que selon ses directives je ne devais pas lui téléphoner avant d’avoir des contractions régulières toutes les 5 minutes, qui durent 1 minute et ce pendant 1 heure. Mais ça n’a jamais été le cas. Elle me confit que c’est la première fois de sa carrière qu’elle voit une primipare qui accouche seule à domicile. La classe ! S. veut même contacter les journalistes pour faire publier un article dans le journal.

T.  me propose de prendre une douche. J’accepte volontiers. J’ai du sang séché sur les mains, le torse et les jambes. Je confie bébé à son papa qui va le garder en peau à peau tout contre lui. Ils font connaissance. T. veut aussi que j’urine. Mais la position assise sur les toilettes ne m’inspire pas. Ce sera donc sous la douche. Hum, ça fait du bien cette petite douche. S. vient voir si je vais bien à la demande de T. .Elle a peur que je fasse un malaise ou que la tête me tourne. Mais non, tout va bien. Je me sens en pleine forme. Après la douche, je retourne me coucher sous la couverture où je retrouve mon bébé. Puis S. me propose de manger. Bonne idée. Je meurs de faim. Depuis la veille au soir je n’ai rien avalé. Je me relève, m'habille et vais manger à table avec S. .T. doit partir mais elle reviendra demain matin. Pendant qu’on mange, S. me pose mille questions sur le travail et l’accouchement. Elle n’en revient toujours pas. On rit et ça me fait du bien de raconter et revivre ces moments.

J’ai vécu une expérience merveilleuse dans la simplicité et l’intimité de notre foyer. J’ai une chance incroyable. Je sais que chaque naissance est différente, mais j’espère pouvoir offrir à tous mes enfants cette même douceur, ce calme et cette sérénité pour leur venue au monde. Merci H. d’avoir permis cela. Merci Maël d’avoir fait de moi une maman.

Coralie

En images...

 

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